Archives mensuelles : juin 2014

Un parti sans propositions

En complément à ma précédente réflexion sur le Front National1, j’ai envie de publier cette reproduction d’une brève parue dans Le Havre Presse, du 4 juin dernier, qu’une amie a posté sur Facebook et qui me semble très éclairante. Elle a intéressé d’autres personnes car elle a, depuis, été partagée plus de cinq cent fois sur Twitter. On y apprend que les conseillers municipaux havrais appartenant au groupe « Bleu Marine » refusent de s’associer aux actions de la ville destinées à favoriser la lecture2 :

Le Havre Presse

« Nous voterons contre toutes les actions de promotion de la lecture parce que c’est en vérité de la poudre aux yeux […] destinée à cacher l’immense problème de la France d’aujourd’hui, de la faillite de l’enseignement. Nos enfants ne savent plus lire, ni écrire, ni compter […] la dyslexie est une pure création de l’éducation nationale et de ses méthodes »

Le couplet « c’était mieux avant » n’est pas bien surprenant de la part du Front National, parti obnubilé par une rêvasserie passéiste sur l’histoire de la France telle qu’on la présente aux enfants en cours élémentaire : une France éternelle, une histoire simple et sans bavures, construite par des chefs prédateurs et des héros neuneus.
On remarque qu’un de ses membres, ophtalmologue de profession (donc doté d’une culture scientifique et censé se sentir concerné par la lecture), n’hésite pas à accuser l’éducation nationale d’avoir créé la dyslexie, affection dont la recherche actuelle a pourtant largement écarté les hypothèses culturelles, au profit de la piste neurologique.

Ce qui m’intéresse, c’est la logique destructrice qui se trouve derrière le discours du groupe « Bleu Marine » : si quelque chose va mal, il faut trouver des coupables (ici, la malheureuse Éducation nationale, qui a décidément bon dos), et surtout, refuser de compenser le problème d’une quelconque manière.
Si on lit attentivement les propositions du Front National, on verra bien tout ce contre quoi (et surtout ce contre QUI) ce parti s’insurge (immigrés, chômeurs, jeunes, profs, UE, etc.), mais on peinera à trouver des propositions positives, ou des propositions tout court.
Il faut dire qu’il y a une double logique électorale : d’une part, puisque ce parti fédère un vote de mécontentement, il faut bien que le mécontentement monte. D’autre part, les idées telles que le racisme et le nationalisme, qui sont les moteurs de la base électorale de ce parti3, s’épanouissent plus facilement dans l’ignorance et l’illettrisme que dans la connaissance et la culture4.

Les gens qui votent pour le Front National doivent être conscients qu’ils donnent leur voix à un parti qui fait le pari de leur imbécillité, qui se réjouit du malheur — son fonds commerce —, et qui ne fera donc jamais rien pour arranger l’existence de qui que ce soit.

  1. Gros succès que cet article, partagé près d’une centaine de fois sur Facebook ! []
  2. La lecture est un des centres d’intérêt du maire du Havre, Édouard Philippe (UMP), qui publie lui-même des romans policiers. []
  3. Si Marine Le Pen a du mal à assumer son encombrant père — qui semble faire les plus grands efforts pour « rediaboliser » le parti de sa fille, preuve qu’il n’a, inconsciemment, jamais voulu le pouvoir —, elle est plus efficace à éloigner des caméras ses militants qui, hors deux ou trois cadres du parti éduqués ou rusés, ont du mal à se retenir de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas… []
  4. Eh ouais, je n’ai pas peur de dire tout haut ce que tout le monde sait bien. []

Par la volonté du peuple. Ou alors, à l’usure

En 2005, le référendum sur le « traité établissant une constitution pour l’Europe » a été rejeté par 55% des électeurs. J’avais voté pour son adoption, mais comme beaucoup j’avais été gêné par l’extrême technicité du texte, qui n’était pas vraiment approprié à être validé ou sanctionné par un « oui » ou à un « non », exprimés par des citoyens qui connaissent mal le détail des institutions européennes et qui ont vu, à juste titre sans doute, l’union comme une effrayante usine-à-gaz. Ils voulaient qu’on leur vende un peu de rêve, une constitution philosophique et morale, et à la place, on a tenté de leur imposer un texte soporiphique, complexe et technocratique.
Enfin je dis « on a tenté », mais c’est bien entendu faux : on leur a bel et bien imposé le texte, le « non » démocratique est devenu un « oui » oligarchique, nos « représentants » issus des partis dits « de gouvernement » s’étant arrogé le droit de décider, contre notre avis, ce qui était bon pour nous. Peut-être avaient-ils raison sur le fond — il fallait bien débloquer une situation institutionnelle problématique —, mais le procédé, lui, constitue une trahison qui n’a qu’une signification : nos « représentants » ont du mépris pour notre opinion, ils ne jouent le jeu de la démocratie que tant que nous sommes d’accord avec eux.

Vous croyiez être débarrassés ?

Vous croyiez être débarrassés ?

Toujours en 2005, un autre crime de non-respect du contrat démocratique a été commis, à mon avis, lorsque l’on a décidé de prolonger le mandat des maires français d’un an : élus en 2001 jusqu’en 2007, ces derniers se sont vus offrir (sans référendum, cette fois) une année de rab, sous prétexte que la période était trop chargée en élections. On peut comprendre l’argument, mais imaginez à présent qu’il vienne d’un quelconque président de régime autoritaire moyen-oriental ou africain ? On crierait à l’abus de pouvoir. Et on aurait raison.
Je vois dans cette histoire de calendrier électoral ré-aménagé, sans grands débats, et sans battage médiatique, l’expression d’une classe politique qui, malgré les divergences idéologiques, sait très bien se serrer les coudes lorsqu’il le faut. Les gouvernements politiques légitimes tendent souvent vers l’oligarchisme, aristocratisme, le népotisme, et finissent par dépenser une énergie considérable à assurer leurs propres intérêts.
Dans le même ordre d’idées, on pourrait se demander s’il est bien normal que ce soient les députés qui votent leur propre salaire…

Il y a deux ans, les Français étaient tellement excédés ou déçus par Nicolas Sarkozy qu’ils ont placé au pouvoir un homme qu’ils jugeaient falot et dont ils n’attendaient rien, sinon l’alternance. Et depuis cette élection, on mesure le désastre qu’a constitué la présidence de Nicolas Sarkozy, président épouvantable non seulement par ses méthodes, son agressivité et sa manière de monter les Français les uns contre les autres, mais aussi par sa gestion de l’économie du pays — dont le déficit s’est creusé comme jamais dans son histoire —, autant que par les conditions dans lesquelles s’est déroulée sa campagne de réélection, dont le surcoût et les irrégularités comptables semblent, là encore, hors-normes.
On aurait pu imaginer que Nicolas Sarkozy se soit fait discret, et ce jusqu’à la fin de ses jours, mais non, impossible : la presse et ses « proches » commencent déjà à nous vendre son grand retour. Brice Hortefeux nous assure que le messie prendra la parole dans quelques semaines ou quelques mois : on dirait l’annonce d’un oracle ou le sketch du fakir par Francis Blanche et Pierre Dac : « Il peut le dire ! ». Car pour l’instant, il ne s’exprime pas, non, on nous apprend qu’il va s’exprimer, on nous dit qu’il est « très fâché » de l’affaire Bygmalion1. On va nous répéter son nom chaque jour, jusqu’à ce que, à l’usure, les électeurs finissent par l’élire. Ça a bien marché deux fois pour Berlusconi en Italie, pourquoi se gêner…

guaino_sarko

Et aujourd’hui, une autre nouvelle absurde tombe : les instituts de sondage réintègrent Dominique Strauss-Kahn à leurs questionnaires. Le baromètre TNS-Sofres/Le Figaro nous apprend qu’un peu plus d’un cinquième des Français souhaitent que le présumé satyre du Sofitel de New York ait un avenir politique en France. Assez ironiquement, les électeurs UMP sont un peu plus nombreux que les électeurs PS à être de cet avis.
Je sens venir les choses : on va nous parler de DSK ici, DSK là, nous demander si on pense qu’il est crédible économiquement, s’il est le bon concurrent qu’il faudra placer face à Sarkozy pour les élections de 2017,…
DSK a disparu de la vie politique française sur un scandale qui a consterné le public, dans un pays pourtant réputé particulièrement  indulgent vis à vis de la vie charnelle de ses hommes de pouvoir ? Aucun problème, on attend quelques années, et on nous resservira le même bonhomme reconditionné, présenté comme un « rédempté », un « miraculé », qui a « changé », qui a fini sa « traversée du désert » et qui est émoins léger », « plus profond ». Un présidentiable, en gros.
Ça me rappelle la supérette de ma ville qui, autrefois (c’est bien fini), avait la sale habitude de ré-emballer, avec une nouvelle date de péremption, la viande hors d’âge. Parfois, elle était bien verte et sentait horriblement mauvais.

Tout cela me rappelle aussi la musique de ma jeunesse : à la radio et à la télé, on entendait toujours les mêmes chanteurs, les Mireille Matthieu, Gérard Lenormand, Frédéric François, Michel Sardou et d’autres. Chacun, chez lui, se disait que les Français avaient bien mauvais goût, pour avoir des idoles si ringardes. Et puis est arrivé l’émission « Top 50 », qui, en se contentant de montrer les ventes de disques, nous a appris que nous écoutions en fait Michael Jackson, Prince, The Police, Cyndi Lauper, Depeche Mode et Renaud. À la même époque, les radios dites « libres » et l’arrivée de Canal+ (où passait justement le « top 50 ») ont aussi permis une certaine diversification de la bande-son médiatique. Du jour au lendemain, un immense pan de la variété française a disparu.
Aujourd’hui, les médias et l’industrie culturelle de masse s’entendent à nouveau pour nous fournir une même soupe, plus internationale, cette fois, à peine plus hétérogène qu’il y a trente ans. Par le battage, au supermarché, dans les publicités, dans les émissions télévisées, on arrive à imposer à nos vies une bande-son qu’on n’a pas vraiment choisie, que l’on n’aurait pas choisie spontanément si quelqu’un se souciait de notre avis.

top50

Notre avis, on ne nous le demande que lorsque l’on pense maîtriser la réponse, parce qu’il sert avant tout à nous faire croire que nous pensons ce que l’on nous dit de penser.
La solution, la réponse, c’est, par exemple, de créer des blogs ! De profiter des libertés dont bénéficie encore le jeune Internet pour s’exprimer, faire entendre sa voix, son avis, montrer que la conscience politique française ne se sépare pas en gens qui veulent le retour de DSK, gens qui veulent le retour de Sarkozy, et désespérés qui votent pour Marion Anne Perrine Le Pen, qu’on peut vouloir autre chose que les choix que l’on nous impose par battage médiatique. Montrer qu’on peut échapper aux tocards de la politique que l’on nous survend, que l’on nous revend même quand nous nous étions jurés que plus jamais nous n’en voudrions.

  1. Un peu comme les bébés, on interprète ses humeurs — et un peu comme les bébés, la phrase juste serait plutôt « il fait dans son froc ». []