Le message

Nos élites politiques et médiatiques comprennent le « message » des Français comme l’Oracle interprétait le délire de la Pythie, comme les haruspices voyaient le passé, le présent et l’avenir dans les entrailles du poisson mort, comme les augures lisaient les présages.
Ensuite, ils passent toute la soirée électorale à sauter de plateau de télévision en plateau de télévision pour expliquer aux gens pourquoi ils ont voté ceci ou cela.

augure

Et au bout d’un certain temps, la magie opère, et l’électeur finit par se dire : « ah mais oui, tiens, c’est pour ça que j’ai voté untel » (ou tel autre, ou pas voté du tout).
Il n’y a qu’à choisir entre les différentes théories proposées par les chefs et les sorciers : on voulait plus de gauche, ou plus de droite ; moins d’immigration ou plus de régularisations ; plus d’Europe ou moins d’Europe ; moins d’impôts ou plus de répartition ; moins de police ou plus de police ; etc. Et si on n’avait pas les mêmes raisons soi-même, on finit par croire que les raisons des autres sont ce qu’on nous dit.
La cérémonie de la soirée électorale, avec son défilé de grands chefs dominateurs et de sorciers omniscients, permet à chacun de se dire qu’il a été compris, qu’un message a été transmis, si incohérent, incompréhensible et inarticulé soit-il, et surtout, que tous les autres ont voté ce qu’ils ont voté pour la même raison, et donc que, malgré les apparences, il existe bien une société française, une tribu, quoi.
Et pour montrer qu’elles ont compris, les élites consentiront à un changement, on enverra rouler dans le sable la tête du premier ministre, sacrifié1, on remaniera, on fera des annonce de « changement de cap » et on prendra très au sérieux l’adversaire — par exemple le Front National avec ses treize élus apparentés, sur trente-six mille communes, qui est parvenu à être le grand sujet de l’élection municipale.

Je me demande si l’invention de la démocratie n’a pas été un peu prématurée, dans l’histoire humaine, ou en tout cas française, car j’ai l’intuition que notre manière d’envisager la politique a peu évolué au cours des quarante derniers millénaires, et que la démocratie représentative telle qu’elle fonctionne — à coup de bulletins anonymes servant à désigner des personnes et leurs promesses —  est à peine moins barbare que bien d’autres systèmes et pire, dispense « nos élites » de beaucoup de débats véritablement politiques, et plus encore de dialogue ou de recherche du consensus.
Et ça ne va pas s’arranger, un chercheur en psychologie m’a appris que le Q.I. moyen des français était en nette baisse depuis des années2 — ce qui va de pair avec la progression du racisme3, du nationalisme, et de la quête de chefs brutaux et dominateurs, par ceux qui en seront justement les premières victimes.

  1. Et on aura passé tellement de temps à nous annoncer que Manuel Valls est le prochain premier ministre qu’on ne pensera pas à demander ce qui lui vaut cet honneur. À moins qu’on nous le dise pour qu’on soit soulagés, ensuite, si ce n’est pas lui. []
  2. Je ne sais pas d’où sort cette information, ni comment on peut étudier une telle pente. Néanmoins, j’ai tendance à y croire, car en sortant le nez dehors je ne trouve pas que l’intelligence (pas plus que de nombreuses qualités humaines) progresse. []
  3. Ça non plus ce n’est pas moi qui le dis. Une expérimentation en psychologie sociale menée par Carmit Tadmor de l’Université de Tel Aviv tend par ailleurs à montrer que la chose fonctionne à l’envers : le racisme rend bête ! Je sais que toute mention du Q.I. rend un peu mal à l’aise les lecteurs : la rapidité à résoudre des problèmes logiques dit-elle quelque chose de l’intelligence ? Et d’autres qualités ? Mon avis est que ces mesures ne disent pas tout, mais ne disent pas rien non plus. []

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