Archives mensuelles : mai 2013

Ami croyant, soigne ton Dieu

Ami croyant, tu as un Dieu et tu te conformes à ses commandements : ne pas voler, ne pas manger certains trucs, faire certaines choses certains jours de la semaine, ne pas coucher avec certaines personnes, et ne pas tuer, excepté peut-être, ceux que ton Dieu n’aime pas, ou qui ne l’aiment pas, ou qui ne veulent pas vivre selon sa loi.

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AUgusto Pinochet (gauche) et Jorge Videla (droite). Chacun a eu des milliers de morts sur la conscience, et chacun s’est réclamé du Christianisme.

Mais on ne va pas se mentir trop longtemps : ton Dieu n’existe pas, et non seulement je le sais très bien, mais toi aussi tu le sais. Enfin si tu y as réfléchi deux minutes, tu le sais. Et moi, je sais que tu le sais. La preuve que tu sais à quoi t’en tenir, c’est que tu me fais, à moi l’athée, la demande absurde de prouver que ton Dieu n’existe pas, tandis que tu refuses, toi qui affirmes pourtant que ton dieu existe, d’en fournir une preuve un tant soi peu sérieuse.
Oh, et puis toi et moi, on sait que s’il existait effectivement, ton Dieu n’aurait pas besoin de toi pour le défendre ou pour le prier.

Assassin-Londres

22 mai 2013, Michael Adebolajo et Michael Adebowale (j’ignore lequel est en photo) ont tué un soldat britannique, Lee Rigby, à Londres, « au nom d’Allah ».

C’est toi qui fais exister ce Dieu. En construisant en son nom, en détruisant en son nom, en agissant pour lui, tu permets à ton ami (maître ?) imaginaire d’avoir un effet réel sur notre monde. C’est un grand miracle, mais alors toi, le dévot, tu dois agir en conséquence, prendre tes responsabilités. Puisque c’est toi qui crées ton dieu, tu n’as pas le droit de te cacher derrière lui, tu n’as aucun droit de dire « je ne fais que suivre ses commandements », tu n’as aucun droit de te servir de lui comme excuse pour manipuler, dominer, aliéner, opprimer, détruire, y compris lorsque c’est à toi-même que tu fais du mal. Et tu n’en aurais pas plus le droit s’il existait, d’ailleurs : quel outrage à un Dieu que d’affirmer que l’on sait ce qu’est sa volonté et que cette volonté, comme par hasard, est justement la tienne ! Que ceux qui s’affirment croyant soient justement ceux qui commettent le blasphème de parler et d’agir à la place de leur Dieu prouve bien qu’ils savent qu’il n’existe pas.

...

Ce que tu fais, tu dois l’assumer, et le Dieu que tu crées, puisque c’est une émanation de toi-même, tu dois aussi l’assumer, tu es responsable de lui et de tout ce qu’il ordonne. Ce que tu fais en son nom, tu le fais en suivant ta propre volonté. Quand c’est quelque chose de beau et de grand — une aumône, un tableau, une mélodie —, aucune raison d’être trop modeste, c’est de toi-même qu’il faut être fier. Et lorsque c’est un meurtre, c’est toi qui dois être blâmé et puni. Ton Dieu te donne des forces pour faire ce que tu as justement envie de faire, cesse de t’abriter derrière son nom, tu es responsable de ses bienfaits comme de ses méfaits. Et si tu lui veux vraiment du bien, à ton dieu, ne fais pas de mal en son nom. Ou bien sois maudit. Même si ça ne veut rien dire non plus.

My fellow believer, please mind your god

(an engrish version of this french text)

Fellow believer, you have a god and you obey to its commandments : not to steal, not to eat some food, do some stuff some days of the week, not to have sex with certain persons, and not to kill, except maybe those your god doesn’t like, or those who don’t like your god or don’t want to live according to its law.

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Augusto Pinochet (left) and Jorge Videla (right). Each caused thousands of deaths.

Let’s not lie to each other much longer : your god doesn’t exist, and not only I know it, but you do too. If you gave two minutes of thought to this question, you know. And I also know that you know. What proves you know with certainty is that you require from myself, the atheist, the absurd demand to demonstrate your god un-exists, while you, who claims it exists, refuses to give any serious evidence of it.
We know, you and I, that if your god ever was, it would’nt need you to pray or to defend it.

Assassin-Londres

You make this god to exist. Building in its name, destroying in its name, acting for it, you allow your imaginary friend to have an actual effect in our real world.
It’s a great miracle, but then you, the devotee, you have to act in consequence, to take your responsability. As you are the creator of your god, you have no right to hide behind it, to say « I’m just following its orders », to use it as an excuse to manipulate, dominate, alienate, oppress, and destroy, even whenever you’re the victim.

...

Whatever you do, you have to assume, and the god you build, as it is an emanation of yourself, you have to assume too, you are responsible of it and of what it commands. What you do in its name, you do following your own will. When it is something great and beautiful — almsgiving, painting or music —, there’s no reason to be too modest, you can be proud of yourself. When it is a crime, you are the one to blame and to punish. Your god gives you strength to do what you precisely wanted to do do, don’t shelter behind its name, you are responsible of its benefits as much as its damages.
If you want any good to your god, don’t do evil in its name. Or be doomed. Even if this word is meaningless too.

Rallumer les Lumières

Le neuf mai à trois heures vingt-cinq du matin, je ne suis pas couché, à la place je poste un article pour défendre Jean-Jacques Rousseau. Eh oui, comment me coucher alors que someone is wrong on the Internet ?

Note : les personnes dont j’ai relevé les tweets plus bas ne sont pas visés par cet article, ils ne sont ni les premiers ni les derniers à répéter les informations ou les rumeurs dont je veux dénoncer les motivations profondes.

Je suis tombé par hasard sur Twitter sur des bribes de conversation où était cité Jean-Jacques Rousseau. Et comme à chaque fois où Rousseau ou Voltaire (et parfois encore Montesquieu) est cité de manière positive dans un espace de conversation sur Internet, quelqu’un vient les dénigrer. Pour Rousseau, le premier angle, c’est bien sûr l’abandon de ses enfants, contre le vœu de leur mère, fait qui nous semble à présent terriblement choquant, surtout venant d’un auteur qui a tant réfléchi à l’enfance et à l’éducation1.

Bien entendu, c’est choquant. Mais il faudrait connaître mieux le contexte pour en juger : pour un intellectuel pauvre et sa compagne (avec qui il n’était pas marié), avoir des enfants n’était pas forcément une chose évidente, mais à l’époque, il n’existait pas vraiment de moyen de contrôler les naissances, en dehors d’avortements tardifs et dangereux. L’abandon d’enfants était une chose très répandue, pour de nombreuses raisons (unions illégitimes, pauvreté). Mais on ne s’en vantait pas. Rousseau, fidèle à son projet de tout dire sur lui-même2, et peut-être aussi forcé de le faire puisque la rumeur l’accablait déjà, a osé évoquer ce sujet. On le lui reproche plus de deux cent ans plus tard, mais peut-être pourrait-on faire ce même genre de reproches à nombre de ses contemporains si ceux-ci avaient été aussi loin que Rousseau dans l’exposition de ses fautes.

Si cette histoire d’enfants abandonnés nous choque, c’est peut-être précisément grâce à Rousseau, qui a fait comprendre à ses contemporains que l’enfant était précieux. À son époque, les femmes des villes n’allaitaient pas leurs enfants, elles les envoyaient à la campagne, chez des nourrices. Un tiers d’entre eux seulement y survivait.

Le second genre de reproche qu’on lit souvent depuis quelque temps, c’est le racisme supposé des philosophes des Lumières, parmi lesquels Rousseau. C’est une accusation étrange dans le cas de ce dernier car on serait bien en peine de trouver des citations douteuse émanant de lui dans ce registre3.  Mais la rumeur a du succès, et on va (cf. plus bas) jusqu’à l’accuser d’avoir cru en la « supériorité de la race blanche », rhétorique anachronique puisqu’elle rappelle l’époque coloniale de la France voire le nazisme : on n’utilisait pas ces termes au XVIIIe siècle.
Et si, comme le disent certains, les philosophes des Lumières n’ont pas franchement pris position contre la traite négrière, ils ne l’ont pas spécialement justifiée non plus : au pire, ils ont fait preuve de quelques préjugés. On peut peut-être plus légitimement taper sur Voltaire, qui adorait faire des théories sur les peuples, théories qu’on peut qualifier de racistes. En revanche le document qui l’accuse d’avoir investi de l’argent dans l’esclavagisme4 est, semble-t-il, un faux. Mais Voltaire est aussi l’auteur du monologue de l’esclave de Surinam5, qui parle sans détours de la cruauté de l’esclavagisme : « On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe (…) Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible ».
À mon avis, Voltaire était nettement moins entier, et plus conscient de ses ambiguïtés et de ses contradictions que Rousseau. Plus hypocrite, quoi. Et plus malin.

Je m’interroge sur cette propension récente à salir les philosophes des lumières. Leurs écrits datent d’il y a deux-cent cinquante ans, ils n’étaient que des hommes, avec des préjugés, des faiblesses, des contradictions, des compromissions, ils vivaient dans un monde qui a peu à voir avec le nôtre et on peut, me semble-t-il, relativiser — sans pour autant les occulter — un peu leurs défauts, lesquels ne pèsent pas grand chose si on les met en balance avec ce qu’ils nous ont apporté. Car ils ont quand même théorisé la liberté de l’individu face à la tyrannie et à l’arbitraire tout en réfléchissant à la citoyenneté, au fonctionnement de l’État, de la justice, à la séparation des pouvoirs, à la libre-circulation de la connaissance,… Nous leur devons énormément.

Mais voilà, Voltaire le théiste anticlérical, Rousseau le Chrétien suspect (converti au Catholicisme pour quitter la Suisse, il était croyant mais pas spécialement respectueux de la religion) et Diderot le matérialiste, ont (avec bien d’autres) ouvert la brèche du rejet de la religion, de l’athéisme et de l’anticléricalisme. Je pense que c’est cela, ainsi que leur réflexion sur l’universalisme, qui sont la raison de l’espèce de campagne qui est menée contre eux et que beaucoup, par manque de connaissance du sujet, relaient.
Je pense qu’il n’y a rien d’innocent dans cette cabale, qui sert moins à parler des philosophes en tant qu’individus qu’à disqualifier sans discussion leur pensée et leur postérité, et ce au profit de projets extrêmement réactionnaires.

  1. Lire Les Confessions, livre VIII : « Si je disais mes raisons, j’en dirais trop. Puisqu’elles ont pu me séduire, elles en séduiraient bien d’autres : je ne veux pas exposer les jeunes gens qui pourraient me lire à se laisser abuser par la même erreur. Je me contenterai de dire qu’elle fut telle, qu’en livrant mes enfants à l’éducation publique, faute de pouvoir les élever moi-même, en les destinant à devenir ouvriers et paysans plutôt qu’aventuriers et coureurs de fortunes, je crus faire un acte de citoyen et de père, et je me regardai comme un membre de la république de Platon. Plus d’une fois, depuis lors, les regrets de mon cœur m’ont appris que je m’étais trompé (…) Tout pesé, je choisis pour mes enfants le mieux, ou ce que je crus l’être. J’aurais voulu, je voudrais encore avoir été élevé et nourri comme ils l’ont été ». []
  2. « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi ». []
  3. Voir par exemple cet article de Respectmag, qui cherche des poux à Rousseau, Montesquieu et Diderot, mais de manière assez peu convaincante. []
  4. Mais aujourd’hui, ne peut-on pas reprocher le même genre de choses qu’à Voltaire à une personne qui a des actions dans une marque de sportswear qui fabrique ses vêtements dans les plus pauvres régions de l’Asie ou dans des sociétés de production énergétique qui pillent l’Afrique ? []
  5. Lire Candide ou l’optimisme, chapitre 19. []

Les droits de l’homme en pantoufles et en gros sabots

Depuis que le Petit Journal de Canal+ est une véritable émission, et plus seulement une rubrique du Grand Journal, Yann Barthès et son équipe doivent trouver le moyen de remplir une demi-heure d’émission. Ce changement de format, j’en avais parlé ailleurs, a altéré le ton de l’émission, et rend parfois insupportable la légèreté de son traitement de l’actualité médiatique, qui est son sujet principal1.
Lundi dernier, le thème de l’émission était la visite de François Hollande en Chine. Yann Barthès a annoncé ce sujet comme ceci : « La spéciale Chine commence juste après nos clichés que voilà ». Les clichés, ce sont un panda, un homme en costume de mandarin qui se fait appeler « Tchang », et un dragon.

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Enfin ça, c’étaient les clichés « gentils », une invocation du folklore. Un cliché de cliché, donc. Les véritables poncifs viennent après.
En introduction, François Hollande se voit railler, puisqu’il ne se montre pas plus courageux que ses prédécesseurs dans la dénonciation de la situation des droits de l’homme en Chine lorsqu’il s’y rend en voyage officiel, alors qu’il critiquait, cinq ans plus tôt, la même attitude chez son prédécesseur. Ce n’est pas volé, mais le scandale n’est pas tant de s’abstenir de donner publiquement de grandes leçons aux dirigeants du pays le plus peuplé au monde lorsque l’on y est accueilli en visite officielle, mais de reprocher à ceux qui ne le font pas de ne pas le faire, car il n’est pas utile d’être un grand sinologue pour savoir que ce n’est pas en se montrant insultant que l’on peut améliorer la situation que vivent les Chinois au jour le jour dans l’exercice de leurs libertés. Sans compter que nous ne sommes pas en guerre avec la Chine, nous entretenons des liens commerciaux soutenus (et bien sûr aussi tendus) avec ce pays immense, complexe, et qui ne parvient à se tenir entier depuis plusieurs millénaires que grâce à un pouvoir central autoritaire — ce que je ne défends pas mais dont les Chinois sont les premiers persuadés me semble-t-il. Quoi qu’il en soit, si un chef d’État veut aider le dissident et prix Nobel de la paix Lu Xiaobo à sortir de prison, ce ne saura être en se montrant humiliant et moralisateur face à un parterre de journalistes français2 qui le réclament : « Monsieur le président, allez-vous leur parler des droits-de-l’homme ? ».

Le Petit journal a interrogé, caméra au poing, des journalistes chinois, en demandant de manière un peu sournoise et faussement naïve pourquoi Lu Xiaobo est en prison. « En France on ne comprend pas très bien, est-ce que vous pouvez nous expliquer ? ».
La caméra s’amuse de voir les journalistes esquiver avec un sourire gêné, dire « désolé, je ne peux pas parler de ça », ou même s’enfuir face à l’insistance de la question plutôt que de chercher à formuler une réponse. Mais tous n’agissent pas de la même manière, on voit notamment une femme tenter d’expliquer que le sujet est délicat, manière de dire que ce n’est pas en se montrant brutal qu’on peut régler le problème3.
Un peu plus tard, l’équipe du petit journal part sur la place Tian’Anmen en tendant aux passants, toujours filmés, un téléphone portable sur lequel est écrit en chinois une question sur ce qui s’est passé là le 4 juin 19894, dernier jour des manifestations dont l’évocation est toujours interdite en Chine continentale.

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Les passants interpellés sont embarrassés, choqués, et pensent à juste titre qu’on cherche à les piéger, à leur faire dire du mal de leurs gouvernants.
J’en discutais avec une jeune femme arrivée en France adolescente, et possédant donc une vraie double-culture franco-chinoise, qui me disait que les répressions de 1989 étaient un sujet tabou non seulement dans la rue chinoise mais même en France au sein de sa propre famille5, que l’on n’en parlait pas — alors que l’on peut désormais parler (prudemment, j’imagine) de périodes tragiques telles que la Révolution Culturelle ou le Grand Bond en avant.

Oui, les Chinois  ont des problèmes, c’est certain. Ils vivent sous un régime autoritaire ou les libertés publiques sont fermement encadrées, pour faire un euphémisme. Mais nous le savons. Le Petit journal le sait. Tout le monde le sait. Les Chinois de la rue et les journalistes chinois le savent, et ça explique à soi seul qu’ils aient du mal à en parler à visage découvert, devant les caméras d’une bande de hipsters parisiens habitués à nous faire rire en faisant dire des bêtises à d’autres hipsters à la sortie des défilés de la fashion week.
Ce ne sont pas les journalistes français qui risquent la prison, l’interrogatoire, ou même seulement la peur de ne pas avoir dit la chose qu’il fallait devant la caméra. Aujourd’hui, les « journalistes » du Petit Journal sont rentrés chez eux, en France, et ils utilisent toutes sortes d’appareils électroniques qui coûteraient le triple s’ils n’étaient pas fabriqués en Chine par des gens payés une misère. Les Chinois de Chine, eux, essaient de conquérir des libertés au jour le jour. Des petites libertés, parfois, de simples étapes, comme le droit de se plaindre publiquement d’un scandale alimentaire, le droit de s’informer sur une épidémie ou celui de gagner de l’argent. Pas des libertés un peu « enfant gâté » comme les très théoriques « droits de l’homme » dont nous aimons tant exporter le nom6.

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À un moment de l’émission, l’anonyme qui défiait les chars en 1989 est évoqué et on sent que le Petit Journal se sent confusément aussi courageux…

Il paraît que les audiences du Petit journal sont en baisse. Ce n’est pas volé.

  1. Je ne suis pas seul à dire du mal du Petit Journal, voir par exemple chez Acrimed ou Arrêts sur images. []
  2. Notons qu’une partie des infrastructures technologiques qui servent à brider les libertés publiques en Chine, comme le célèbre « Grand bouclier doré », sont produites par de grandes sociétés occidentales comme IBM, Cisco, ou encore le français Thalès. []
  3. Il en va de même avec le Tibet, qui est un poncif dans la presse occidentale mais une question sans doute plus complexe pour les Chinois comme pour les Tibétains — rappelons que malgré l’image sympathique qu’en a fourni Tintin au Tibet, le régime des Lamas a été une théocratie abominable dont la plupart des sujets étaient des serfs, et que le pays, avant d’être occupée militairement par la Chine a été un protectorat de l’Empire chinois. Je ne défends évidemment pas l’invasion du Tibet par la Chine, mais je serais curieux d’entendre ce qu’en disent les Tibétains qui ne sont pas liés à la diaspora aristocratique religieuse : on ne les entend strictement jamais. []
  4. Cela me rappelle Le Joli mai, de Chris Marker, où le regretté auteur de La jetée interrogeait les passants sur l’actualité de l’année 1962 et constatait l’absence totale de références à la fin de la Guerre d’Algérie et à des événements tels que la manifestation de la station Charonne, les attentats de l’OAS ou le massacre d’Oran. Mais plutôt que de donner des leçons, Marker en profitait pour faire un portrait superbe de la société de l’époque et de ses aspirations pour l’avenir. []
  5. J’ai l’impression qu’en Chine, mais aussi dans les pays de l’ex-Indochine, il existe une forte tradition de l’oubli volontaire des sujets les plus douloureux, ce qu’est la répression des manifestations de la place Tian’anmen qui, au moment où toute une partie du monde changeait complètement (fin de l’Apartheid, chute du mur) était le signal que la Chine ne suivrait pas le mouvement et que ses dirigeants ne comptaient pas tenir les rênes du pays avec plus de souplesse qu’auparavant. []
  6. Gilles Deleuze résumait ça très bien dans la séquence de l’Abécédaire consacrée au mot « gauche » où il parle de l’invocation des droits de l’homme comme moyen, pour l’Europe notamment, de conserver ses privilèges : « Tout le respect des droits de l’homme, c’est… vraiment, on a envie presque de tenir des propositions odieuses. Ça fait tellement partie de cette pensée molle de la période pauvre dont on parlait. C’est du pur abstrait. Les droits de l’homme, mais qu’est-ce que c’est ? C’est du pur abstrait. C’est vide « . []

Quand j’entend le mot Culture je sors mon tract PS

La ville où j’habite (Cormeilles-en-Parisis, dans le Val-d’Oise), a toujours été assez à droite. C’est une ville où ont longtemps cohabité une bourgeoisie franchement aisée et des couches populaires, mais où ces deux groupes disparaissent peu à peu au profit d’une seule classe moyenne. J’y vis depuis ma naissance et j’ai connu l’époque où des vaches remontaient la grand’rue pour aller pâturer. Aujourd’hui, les anciens champs se couvrent de pavillons ou de petits immeubles, la population a triplé, bientôt quadruplé, et les vaches ont été remplacées par des véhicules 4×4 équipés de pare-buffles.

Avec une régularité de coucou, le Parti Socialiste de ma ville se souvient de sa propre existence un an jour pour jour avant les élections municipales. Voici le tract que j’ai trouvé dans ma boite hier, et qui est daté de mars 2013 :

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J’ignore qui le PS (qui fait généralement liste commune avec le PC et les Verts) compte présenter dans ma ville cette fois-ci. La dernière fois, c’était un militant local de longue date qui ne voulait, visiblement, surtout pas l’emporter. La fois précédente, ce parti proposait un apparatchik carriériste parachuté, vraisemblablement en vue d’un « destin » plus ambitieux.
Cette fois, pour l’instant, pas de tête d’affiche, juste un tract dont le message est clair : le budget de la commune est moins bon que ce que dit le maire, car si la ville est plutôt peu endettée, les impôts ont augmenté1 et la ville investit trop d’argent dans la culture. Le même tract s’indigne d’un projet d’école des arts (un lieu qui accueillerait les écoles de musique et de danse de la ville, ce que le tract ne précise pas) et, en même temps, rappelle que l’école de musique de la ville a des locaux exigus. Il se plaint également d’un projet de réhabilitation d’une vieille bâtisse à laquelle les citoyens sont attachés, qui accueillera, après les travaux, un lieu d’exposition et un pub. Ce pub sera géré de manière privée mais il répond au cruel déficit de la ville en matière de lieux de convivialité et l’idée n’est pas déplaisante. Les travaux sont d’ailleurs bien avancés (un peu tard pour annuler), et le tract ne dit pas ce que le PS envisagerait d’en faire d’autre.
C’est d’ailleurs tout le problème de ce tract qui cherche à critiquer un bilan mais ne propose strictement rien, critique le « coût de fonctionnement » des nouveaux équipements (en se gardant bien de dire qu’il s’agit d’emplois), et se plaint à la fois d’un manque de structures et des frais qui sont engagés dans la construction des structures qui font justement défaut.

Visuels gnan-gnan et abstraits censés évoquer la ville, que le PS utilise apparemment un peu partout…

Voir le PS utiliser une mise en page aux couleurs d’école maternelle pour se plaindre, à la manière du Front National, des impôts et du coût de la culture, voilà qui semble assez consternant, surtout venant d’un parti qui s’est toujours fait passer pour le champion de la culture. Longtemps endormie, provinciale, la ville est à présent équipée d’un bon théâtre, s’occupe des jeunes et organise toutes sortes d’événements. On peut critiquer les tarifs d’inscription aux activités culturelles, qui sont souvent élevés, on peut critiquer le fait que la ville soit structurellement coupée en deux2, ou encore l’achat de mobilier urbain franchement laid3. Mais critiquer l’investissement dans la culture sans faire aucune proposition4 ?
Est-ce que le PS a décidé d’attaquer sur ce genre d’air de manière nationale ?
Ça m’intéresse que les lecteurs de ce billet le confirment ou le contredisent.

Pour moi, l’élection municipale a une importance majeure, car ce n’est pas une élection de grands principes abstraits, c’est une élection à échelle plutôt humaine, qui porte sur des questions concrètes. Dans les villes de taille moyenne, comme la mienne, le PS n’a jamais été très bon, à ma connaissance. Ses élus semblent souvent se rêver en députés ou en sénateurs, ils ne comprennent pas bien ce qu’est une commune et ils ne comprennent pas pourquoi ils perdent les élections ni pourquoi c’est amplement mérité.

  1. L’augmentation des impôts me semble strictement proportionnée au désengagement de l’État dans les collectivités locales, du moins si je me fie à ce qu’en dit la conseillère générale locale, membre du parti socialiste (et qui, par ailleurs, me fait plutôt bonne impression). []
  2. Tous les nouveaux équipements partent dans le Sud de la ville, autrefois uniquement occupé par des champs : il va falloir accompagner ça d’un effort sur les transports en commun. []
  3. La question du mobilier urbain est un problème national. Je ne suis jamais allé visiter de salons dédiés à l’équipement des villes mais on m’a raconté qu’il valait mieux ne pas avoir mangé quelque chose de trop lourd avant, tant la laideur et l’ignominie (mobiliers anti-jeunes, anti-clochards, anti-humains,…) sont la norme. []
  4. On sent le passage délétère de la rhétorique Sarkozyste derrière ce genre de discours : faire feu de tout bois, sans cohérence, sans logique, en considérant que l’électeur est de toute manière trop idiot pour comprendre qu’on ne peut pas râler sur une chose et sur son contraire. C’est peut-être une méthode efficace pour gagner des élections, mais ça a déjà tué ce que l’UMP avait de digne, est-ce qu’il faut maintenant faire subir le même sort au PS ? []