Pas grand chose à foot

En parlant de la taxe de 75% appliquée aux salaires supérieurs à un million d’euros par an, le Figaro explique que : « À l’heure où les déficits des clubs hexagonaux se creusent, cette nouvelle ponction devrait ainsi accélérer la fuite des talents vers l’étranger ». Au Grand Journal et sur Twitter, Jean-Michel Apathie s’émeut lui aussi et prophétise que la France va devenir une nation de seconde zone dans le football mondial :

foot_apathie

Personnellement, j’ai envie de dire : chiche !
Si les gens qui perçoivent un salaire de plus d’un million d’euros annuels (une centaine, apparemment) ne veulent plus le faire sur les pelouses des stades français, eh bien qu’ils aillent le faire ailleurs, quel est le problème ?
Bien entendu, s’ils partent effectivement, les caisses de l’État ne se rempliront pas pour autant puisque l’argent sera gagné dans d’autres pays et donc, ne sera pas taxé ici. Mais on y aura gagné autre chose : un football moins riche !
Évidemment, je suis mal placé pour critiquer les dérives du football professionnel, je n’ai jamais aimé ce sport, j’ai douté de ma normalité dans la cour de récréation quand, enfant, je devais constater que je n’avais aucune idée sur rien en football, que je n’avais pas d’équipe préférée, que je ne comprenais rien aux règles, et que je ne voyais pas trop à quoi tout ça servait, finalement. En fait, il y a même une dimension fasciste qui m’effraie dans le football, pas tant pour le sport lui-même que pour ce qui l’entoure : des gens qui se réunissent dans des stades pour adorer les uns et haïr les autres, qui hurlent, qui ont l’air de macaques enragés. Ces gens me font peur, et l’endroit d’où ils tirent leurs émotions collectives me fait peur, j’ai l’impression que c’est du même cloaque émotionnel que viennent les plus abominables choses que peut la foule.
Bon, mais imaginons que j’aie été un autre, et que j’aie aimé le football. Est-ce que j’aurais aimé voir des exploits sportifs, des performances, des beaux gestes, ou est-ce que j’aurais voulu voir des investissements financiers (plus que des millionnaires) courir sur de l’herbe, terrorisés à l’idée de prendre des risques au point de n’arriver à marquer qu’un but par match1 ? Je me souviens avoir suivi les scores des équipes norvégiennes lors de la coupe nationale, il y a une vingtaine d’années. Le football y était semi-professionnel, et l’enjeu était, visiblement, le jeu et rien d’autre, car les scores étaient surprenants, plusieurs dizaines de buts pouvaient être marqués pendant un seul match.

Au delà du plaisir du jeu, l’argent pourrit aussi la vie des footballeurs. Imaginez des gamins que l’on repère adolescents dans un pays en voie de développement ou dans une cité française, que l’on colle dans des centres de formation, à qui l’on fait mener une vie étrange, loin de leur famille, et qui se retrouvent subitement à gagner deux, trois, ou vingt fois plus que leurs parents, mais qui ne sont aimés par le public et par le club que tant que leur corps fonctionne bien : ce sont les prolétaires ultimes, ils n’existent que tant qu’ils courent vite, on leur dit où aller, quoi manger, on leur dit parfois quand ils ont le droit de voir leur fiancée, on gère leur argent,… Mais un jour ils se blessent, ou un jour on découvre que les promesses de leur adolescence ne seront pas tenues, et on les abandonne. C’est ce qui était arrivé à mon beau-père Franko, passé sans transition d’une vie misérable sur une île de Yougoslavie à une époque où il pouvait acheter (me disait-il) une voiture par mois, où il se sentait tellement riche qu’il prêtait des sommes impossibles à des gens qu’il n’a jamais revus,…

Franko

Il n’évoluait qu’en deuxième division, mais il se sentait millionnaire. Et puis un soir, mauvaise blessure son genou, le football « pro », c’était terminé. Il a perçu une petite pension, jamais réévaluée, quelque euros par mois à la fin de sa vie. Ensuite, il a traîné, il a été soudeur, dans une France qui allait avoir besoin de moins en moins d’ouvriers non-qualifiés… Bon.
Il paraît qu’on accompagne mieux les jeunes footballeurs en France aujourd’hui : qu’on leur donne un peu d’éducation, qu’on leur apprend à connaître les limites de leur corps, qu’on leur apprend à gérer leur argent, à préparer l’après,… C’est une bonne chose même si ça ressemble plus à de la gestion d’investissement et d’image qu’à un authentique souci humaniste.

Que le foot français devienne pauvre, que les villes ne se ruinent pas pour lui construire des stades, que les chaînes ne s’endettent pas pour acquérir des droits de diffusion, que les joueurs s’amusent sur le terrain,… Je ne vois pas trop le problème, en fait.

  1. Le footballeur Vikash Dhorrasoo a publié l’an dernier un bon article où il raconte son parcours, mais aussi la manière dont le football professionnel refuse les beaux gestes et la virtuosité : Ici, on ne fait pas de petit-pont. []

7 réflexions sur « Pas grand chose à foot »

  1. FrB

    en tant qu’amateur (spectateur, guère pratiquant) du sport, je voudrais juste réagir sur deux trois points, sans vouloir défendre (quel besoin ? on aurait plutôt à défendre ceux qui n’aiment pas le foot, je crois) ni convaincre (jamais été bien convaincu de l’efficacité des prosélytes). J’ignore si ça vous intéressera, mais dans le doute…

    C’est surtout le passage, très intéressant, sur le fascisme tapi, qui concerne à mon avis tous les sports de stade – je me souviens, lorsque j’avais vu les championnats du monde d’athlétisme à St Denis, de l’engouement patriotique délirant de la foule, littéralement bleu-blanc-rouge, encouragée par un speaker survolté, ça faisait froid dans le dos. bref.

    Personnellement, je baigne dans le football depuis que je suis né – une de ces familles, où il y a ceux qui jouent, ceux qui entraînent, et même ceux qui sont plus haut dans l’organigramme d’un club, cas particulier. Moi je me contente de regarder : la dramaturgie d’un match, d’une saison, les luttes hors-champ, la technique et la tactique (ou : le geste et l’idée), en réalité bien des choses qui me poursuivent dans ma pratique a) d’écriture et b) plastique. La chorégraphie du ballet, l’improvisation individuelle, la compensation nécessaire dans le collectif, et puis l’éternel retour du même (gestes, scénarios)

    Le stade comme exutoire, ça n’a jamais été mon truc ; moi aussi, ils m’effraient, ces gens qui acceptent (qui veulent) être une masse indistincte, et y voient le moyen d’exprimer leur violence et leur agressivité sans être isolés. Ce qui me plaît dans le stade, c’est aussi le rituel – déchirement de supporter : déménager, de l’antique Deschaseaux au plastique stade océane : perdre la moitié du rituel. Au delà du spectacle à apprécier, du jeu à savourer, le rituel déborde du match : c’est la saison, c’est la trêve, le fameux mercato, les amicaux de pré-saison. Je suis très attaché au football de club (les équipes nationales, en plus de souligner l’aspect fascisant, jouent rarement ensemble, donc souvent très mal), aussi parce qu’il y a cette règle tacite : les entraîneurs, les joueurs, les dirigeants vont et viennent, mais les supporters restent, convaincus d’être la constante du club, son identité (zut, on revient vers des notions tangeantes).

    Une chose néanmoins : dans le rapport aux dieux du stade, à l’exploit sportif, on sous-entend que le public (masse) vient admirer et détruire le héros (individu) ; en réalité, on est très seul, face à un match, même si on porte les mêmes couleurs que le voisin. On réduit souvent le public footballistique aux ultras et aux kops, ce qui équivaut à réduire le paysage politique aux partis extrémistes. C’est beaucoup de grand-pères qui y vont depuis soixante ans, de familles qui réactivent le rituel (c’est la messe, certes, mais sans prêtre) ; et puis il y a de tout, même dans les « popus » (traditionnellement, derrière les buts) : des ultras récemment bannis du Parc des Princes, qui alternent saluts nazis et cris de singe, au kop non-violent de Padoue (deuxième division italienne), qui chantent en canon des reprises des Beatles.

    C’est un peu ça, mon problème : j’ai beau m’effrayer des effets de masse et de l’agressivité banalisée, j’aime entendre les chants au loin pendant une mi-temps. J’ai récemment vu le public lensois entonner les Corons, c’est impressionnant, touchant je crois (voir aussi les publics britanniques et leurs chants) – et ça vient aussi d’une question d’identité collective, d’abandon de responsabilité dans le rapport au groupe, qui désinhibe et regroupe, donc.

    De la même manière, je suis pour un retour à un football moins luxe, moins clinquant et moins hégémonique (quelle chance j’ai eu de ne pas naître dans une famille de pongistes), mais d’un autre, je suis heureux de pouvoir regarder un match chaque jour (bon, je ne le fais pas, craignant l’overdose, mais je suis content d’avoir le choix) ; de l’accélération du niveau, de la préparation, des équipements. Bon, de toute façon, avec les stades climatisés pliables du Qatar et les favelas rasés du Brésil, on ne prend pas la direction d’un ralentissement, d’une décroissance, que les puristes réclament (revenir à l’essentiel du jeu – malheureusement, ça veut souvent dire, comme chez vos norvégiens, de revenir à un football rudimentaire, des défenses à la rue, une tactique préhistorique et la re-disparition des joueurs-poètes, ceux qui ont un coup d’oeil ou de patte incomparable, qui voient ce que personne d’autre n’a vu – ceux-là, souvent trop petits, pas assez musclés pour le jeu amateur, sont protégés par les caméras, finalement).

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    1. Wood

      « identité collective, abandon de responsabilité dans le rapport au groupe, qui désinhibe et regroupe »
      Cette expression me fait froid dans le dos. N’est-ce pas là processus exact qui a permis l’exécution des plus grands crimes de l’histoire ?

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      1. FrB

        c’est l’idée : le mécanisme est le même, dans la fête collective et dans la ferveur fasciste. fonctionne aussi pour les manifs, partis politiques ou fans de justin bieber : c’est l’idôlatrie, le problème, plutôt que la notion d’identité collective, non ?

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        1. Wood

          Possible, l’un est-il possible sans l’autre, en fait ?
          Je remarque que j’évite tout autant les partis politiques que les fêtes collectives ou les concerts de Justin Bieber, et effectivement grosso modo pour les mêmes raison.

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  2. Sylvia

    j’ai grandi dans LA ville française du foot, celle où on ne peut pas faire un pas sans croiser un fanion aux couleurs de l’équipe, celle où les gens parlent et respirent le foot. Et j’avais un papa qui ne s’y intéressait pas du tout (pas originaire de la ville, cela devait jouer). Je me sentais bien seule quand, les lendemains de match, mes camarades de classe parlaient des joueurs (dont je ne connaissais ni les noms ni les visages), des buts de la veille (je ne comprenais rien et n’osais pas demander « c’est quoi un hors jeu ? »), tous bien heureux dans leurs joggings bleu et blanc. Personne ne parlait jamais de valeurs (?) véhiculées par ce sport, du côté ludique du foot. Ce qui comptait c’était de se mettre d’accord sur quel joueur avait la plus grosse (hum). Les adultes (profs, parents, le boulanger etc.) n’étaient pas en reste ; on parle plus foot que météo dans cette ville ! Et j’en ai appris des insultes en les écoutant parler de LA ville enemie, celle qui , à leurs yeux, se croyait supérieure à la leur, celle dont ne serait-ce que le nom prononcé déclenchait chez eux un dégoût profond.
    Je trouvais ça déjà grave à l’époque, d’avoir décider unilatèralement qu’habiter dans une ville donnée faisait des gens des enc****.
    Cette haine de l’Autre, c’est comme cela que je le ressentais et le ressens toujours quand je retourne dans cette ville, est très déconcertante, car fondée sur le rien, le vide.
    Ah non, c’est à cause d’un ballon.
    Et c’est quand même le seul sport collectif (à ma connaissance) où c’est l’indidu, l’individualisme, les egos qui priment. C’est très curieux.
    Je pense que c’est en prenant en compte la mentalité qui accompagne ce sport depuis des décennies qu’il faut appréhender ce problème du foot-riche. Parce qu’au final, qu’est ce qui est important pour beaucoup de spectateurs ? que son équipe soit supérieure à l’équipe adverse, qu’elle l’écrase, qu’elle la domine. Et ça passe par l’argent, l’ultime roi.

    (mon commentaire est probablement brouillon, confus, comme souvent !)

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    1. FrB

      « Et c’est quand même le seul sport collectif (à ma connaissance) où c’est l’indidu, l’individualisme, les egos qui priment. C’est très curieux. »

      Je ne crois pas que ce soit une spécificité du sport, mais du traitement – le rugby y est déjà, le basket aussi, le handball… médiatisation, donc mise en valeur de l’individu : c’est la même chose avec le cinéma, par exemple, œuvre largement collective mais pour laquelle on ne cite que les « principaux » protagonistes, et encore.

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